Rashid Javed a repris la direction de Plan International Suisse au début du mois de janvier 2021. Il dispose de nombreuses années d’expérience au sein du réseau mondial de Plan International et a dirigé des bureaux nationaux en Asie, Afrique et Amérique latine. Découvrez dans cette interview ce qui le motive, ce que le féminisme signifie pour lui et pourquoi Plan a fait de lui un outsider.
Tu travailles déjà depuis 18 ans pour Plan International. Quelle est aujourd’hui encore ta motivation au quotidien?
Le sens de mon travail. Savoir que j’œuvre en faveur d’une vie et d’un avenir meilleurs pour les enfants et les communes avec lesquels Plan travaille, c’est ce qui m’anime chaque jour, même après 18 ans. J’ai fait mes débuts chez Plan au Canada, en 2003. Mais très vite, j’ai remarqué que je voulais être là où Plan réalise des projets. Peu après, l’occasion de collaborer à l’aide globale de Plan en cas de catastrophe s’est présentée en Haïti et au Pakistan. Depuis lors, j’ai eu la chance de pouvoir travailler avec des enfants et des communes de trois continents. Contribuer à ce que ces enfants, et plus particulièrement les filles, puissent affronter la vie en étant plus forts et en ayant voix au chapitre: c’est pour cela que je me lève chaque matin avec plaisir.
Tu t’affirmes féministe. Comment réagit ton entourage à cela?
Je rencontre souvent des visages sceptiques. À mon avis, cela tient au manque de compréhension de la signification de «féminisme» ou «féministe», des termes qui sont souvent perçus avec une connotation négative. Être féministe signifie tout simplement qu’en tant qu’individu, on croit en l’égalité des genres et qu’on la soutient. À mon avis, tous les hommes devraient être féministes et avoir le courage de l’affirmer. C’est seulement ainsi que nous avons une chance de vivre dans un monde où hommes et femmes disposent des mêmes droits, du même pouvoir et des mêmes privilèges.
Te souviens-tu d’un moment précis lors duquel tu as réalisé qu’il y avait une différence entre être une fille ou un garçon?
C’était en Haïti. Après le tremblement de terre de 2010, Plan a mis en place dans un camp de secours un centre adapté aux enfants, afin qu’ils puissent jouer et apprendre. Parmi les enfants qui se rendaient dans ce centre, 80% étaient des garçons. Nous nous sommes rendus dans les familles afin de comprendre pourquoi les filles étaient absentes. Les parents nous ont alors expliqué que les filles n’avaient pas le temps d’apprendre et de jouer, car la plupart d’entre elles devaient aider aux travaux ménagers, aller chercher de l’eau ou veiller sur leurs plus jeunes frères et sœurs. J’ai compris à quel point les filles étaient défavorisées dans leur propre foyer, juste en raison de leur sexe, et qu’il fallait aborder les causes de ce type de comportement.
Dans quelle mesure ta vie privée a-t-elle été influencée par Plan?
Je suis devenu plus courageux – un véritable défenseur de l’égalité sociale et des droits. Plan m’a aidé à remettre en question et à exprimer mes préoccupations, à attendre la même chose de mes collègues, de mes amis et de ma famille. Cela a parfois fait de moi une sorte d’outsider pour mes amis et dans certains cercles sociaux (rires). Mon engagement personnel m’accompagne partout et lorsque je constate une inégalité ou une injustice, je prends la parole.
Tu as travaillé dans des pays comme l’Ouganda, le Pakistan et Haïti, là où les inégalités empêchent de nombreux enfants et jeunes, en particulier les filles, de réaliser leurs objectifs de vie. Maintenant, tu vis et travailles dans l’un des pays les plus riches du monde. Comment gères-tu cette situation?
Les 15 ans durant lesquels j’étais actif dans des pays de projet m’ont appris à quel point nous sommes privilégiés dans des nations telles que le Canada d’où je viens, et la Suisse où je vis actuellement. Trop souvent, j’ai constaté que les besoins de base les plus élémentaires, comme la formation, l’accès aux infrastructures de santé, à l’alimentation et à l’hygiène, n’étaient de loin pas respectés pour les enfants. Nous autres, «privilégiés», ne devons pas l’accepter. Même s’il grandit dans un village perdu d’Ouganda, du Népal ou d’Haïti, tout enfant doit disposer des mêmes droits fondamentaux que nos propres enfants. Je suis reconnaissant des avantages qui sont les nôtres. Dans le même temps, j’estime que nous avons une responsabilité morale et éthique à utiliser nos privilèges pour influencer les décideurs afin qu’ils accordent plus d’égalité sociale.
Tires-tu des parallèles entre les pays les plus pauvres et les plus riches?
Absolument. L’inégalité, le racisme, la violence envers les femmes et la pauvreté en général ne s’arrêtent à aucune frontière géographique. Dans certains pays occidentaux, le droit à l’égalité salariale des femmes pour un même travail, l’absence de toit et d’assurances sociales adéquates sont de véritables problèmes qui touchent des dizaines de millions de personnes. Pour Plan International, le point clé le plus efficace consiste à atteindre les enfants et jeunes les plus vulnérables et défavorisés, en particulier les filles. Dans de nombreux pays dits «de collecte» comme la Suisse, certains de nos programmes visent aussi à résoudre des problèmes locaux. Nous travaillons pour cela en étroite collaboration avec les cantons, les communes et les instances gouvernementales locales.
Comment pouvons-nous, en tant que personne et société, contribuer à une meilleure égalité?
Nous devrions utiliser les possibilités d’influence dont nous disposons. Il peut s’agir de discuter avec des amis ou en famille des inégalités, ou de tenter d’agir sur les médias, les entreprises et la politique. Nous pouvons aussi utiliser notre droit politique à la parole ou nos moyens financiers, partager ce que nous savons ou offrir notre temps à titre bénévole. Des célébrités peuvent tirer parti de leur visibilité afin de renforcer la prise de conscience des questions de justice et d’égalité des droits. Il existe de nombreuses manières de s’engager. Contactez-nous afin d’en discuter.
Quels sont tes projets pour Plan en Suisse?
Nous allons développer la notoriété de Plan et la confiance qui lui est accordée en tant qu’organisation engagée dans les droits des enfants et des jeunes, ainsi qu’en faveur de l’égalité des droits. Notre but est aussi d’élargir les partenariats stratégiques existants et d’en réaliser de nouveaux, afin de créer des synergies, de l’efficience et des résultats durables pour les enfants, les jeunes et surtout les filles, dans le monde comme en Suisse.